Rando, likes et lignes de crête : comment l’ego numérique fait déraper la montagne (et le plan pour ne plus se mettre en danger)

Rando, likes et lignes de crête : comment l’ego numérique fait déraper la montagne (et le plan pour ne plus se mettre en danger)
Crédit photo: 3422763

Parfois, ce n’est pas la pente qui est la plus raide, c’est notre envie de ramener “LA” photo. Je le vois partout sur les sentiers: on court après l’exploit et l’angle parfait, on coupe les virages de sécurité, on oublie l’essentiel. Résultat: les hélicos tournent trop souvent.

En 2025, les secouristes de montagne tirent la sonnette d’alarme. La fréquentation explose, et avec elle les accidents… surtout chez des pratiquants séduits par l’esthétique des réseaux mais qui n’ont pas encore les “codes” de la montagne. Je t’explique pourquoi ça dérape, ce que j’ai appris en trail et en rando, et je te donne un plan concret pour allier belles images, plaisir et sécurité.

Ce que voient les secouristes cet été

  • Dans les Pyrénées-Orientales, un peloton de gendarmerie a traité cet été une majorité d’interventions liées à la randonnée, bien plus que l’alpinisme. L’hélico est sollicité très souvent, signe que les situations dégénèrent vite en altitude.
  • Le vrai talon d’Achille? La préparation physique et l’anticipation, pas seulement l’équipement. Beaucoup sous-estiment la durée, le dénivelé, l’effet de l’altitude, ou l’orage qui arrive plus tôt que prévu.
  • Les “spots Instagram” (lacs faciles d’accès, crêtes panoramiques, sommets emblématiques) concentrent les incidents. Et les “fausses alertes” explosent: batterie à plat, proches inquiets, déclenchement des secours.

J’ai aussi été témoin de sorties qui tournent mal pour un détail: micro-crampons posés sur du verglas au lieu de vrais crampons, corniche prise pour un balcon, demi-tour repoussé “pour la photo”. La montagne est belle, mais elle ne négocie pas.

Le piège mental des réseaux (je le dis aussi en tant que créateur)

  • Illusion de facilité: une image propre gomme la pente, le vent, la neige dure. On croit “facilement reproductible”.
  • Pression sociale: on “joue sa peau pour 20 secondes de stories”. La dopamine des likes repousse le moment du renoncement.
  • Uniformisation: on veut “la même” qu’un créateur. On suit l’itinéraire viral, pas celui adapté à son niveau.
  • Biais d’optimisme: “Ça passe.” Jusqu’à ce que ça casse.

📌 À retenir
La photo est un bonus. Ta marge de sécurité, c’est ton capital. Tu peux l’entamer pour le cadre, ou la garder pour rentrer. Tu choisis.

Trois cas récents qui m’ont marqué (et les leçons)

  • Disparition en Savoie (mi-août 2025): un randonneur parti vers un refuge, plus de nouvelles. Le rappel: toujours laisser un itinéraire précis, une fenêtre horaire et un “point d’alarme” à un proche. Une balise satellite bon marché peut sauver des heures de recherche.
  • Chute sur verglas en Haute-Garonne (déc. 2024): fractures multiples après une glissade. Leçon: les chaînettes/micro-pointes ne remplacent pas des crampons + piolet sur terrain dur/gelé. Technique et choix d’itinéraire d’abord.
  • Été 2025 dans les spots “instagrammables”: batteries vides, orages, hypoglycémies, crampes, demi-tours trop tardifs. Leçon: gérer l’énergie (physique et électrique) est aussi crucial que lire la météo.

Mon protocole “Photo Safe” en 7 étapes

  1. Je valide d’abord la sécurité de la zone
  • Sol stable? Corniches? Dalles lisses? Dégagement sous le photographe et le sujet?
  • Vent: au-delà de 40 km/h en crête, je bannis toute pose proche du vide.
  1. Distance de sécurité minimale
  • 2 longueurs de bâton du bord (env. 2 m) en terrain raide; 3 m s’il y a de la neige ou du sable.
  1. Optical tricks plutôt que prise de risque
  • Zoom modéré (50–85 mm) et angle bas pour donner du relief sans se rapprocher du vide.
  • Perspective: poser la personne en retrait, laisser le vide à l’avant-plan.
  1. Matériel sécurisé
  • Dragonne au smartphone, sangle au boîtier. Pas de perche au-dessus du vide. Un smartphone perdu ne vaut pas un pas de trop.
  1. Règle des 30 secondes
  • Si je passe plus de 30 secondes immobile exposé au vent/froid, j’arrête et je remets une couche.
  1. Un binôme qui valide
  • Le partenaire a droit de veto. Si l’un doute, on renonce.
  1. Post-production > prise de risque
  • On corrige l’image plus tard; sur place on ne corrige pas la gravité.

💡 Astuce
Beaucoup d’images “vertigineuses” qu’on adore sont prises… à 3 m du sentier, en jouant sur l’angle. C’est la composition, pas la roulette russe.

T’entraîner pour la montagne, pas pour l’algorithme

Tu veux un sommet à 1200 m D+ dans 4 semaines? Voici mon micro-plan (3 séances/semaine):

  • Semaine 1: 1 sortie marche active 2 h (400 m D+), 1 séance escaliers/PPG bas du corps (45 min), 1 rando facile 3 h sac 5 kg.
  • Semaine 2: 1 sortie 2 h 30 (600 m D+), 1 séance côtes (8×2 min en montée), 1 rando 4 h avec bâtons (600–800 m D+).
  • Semaine 3: 1 sortie 3 h (800 m D+), 1 PPG gainage/chevilles, 1 rando 5 h (1000 m D+), travail de gestion d’allure.
  • Semaine 4: allègement, une sortie 2 h vallonnée, une rando test 3–4 h. Objectif: fraîcheur le jour J.

Conseil d’expert

  • Teste ton matériel en conditions réelles. Apprends à poser un crampon, à gérer tes couches, à lire un topo et une carte hors-ligne.

Check-list express avant de partir

  • Itinéraire adapté au niveau le plus faible du groupe
  • Météo détaillée par créneau horaire + plan B/C
  • Heure de demi-tour non négociable (ex: 12h30)
  • Carto hors-ligne + batterie externe + mode avion
  • Eau: 500–700 ml/heure selon chaleur; électrolytes
  • Couche chaude + coupe-vent, gants fins
  • Lunettes, écran solaire, trousse blessure + couverture survie
  • Bâtons, frontale, sifflet; si terrain alpin: crampons/piolet adaptés

🧭 Gestion batterie & communication

  • Téléphone en mode avion, luminosité réduite, photos en rafale courte.
  • Message “Je pars/je rentre” à un proche avec tracé, créneau et point d’alarme.
  • Balise satellite si zone blanche ou sortie engagée.

Publier sans nourrir le risque: mes 5 règles

  • Je poste après la sortie, pas en direct.
  • Je contextualise: saison, difficulté, conditions rencontrées.
  • Je valorise le renoncement. Un sommet remis, c’est un sommet gagné.
  • Je floute des passages sensibles ou je n’indique pas précisément des spots fragiles.
  • Je glisse un rappel sécurité quand l’image est “tendue”.

📊 Objectif d’image: alternatives qui marchent

Envie de…Risque typiqueAlternative photo “safe”
Silhouette au bord du videChute, corniche3 m en retrait + zoom + angle bas
Traversée névé au lever de soleilGlissade sur neige dureSentier en lumière rasante sur pelouse alpine
Main sur arête effiléeExposition, coup de ventArête en arrière-plan, sujet sur terrain stable

Ce que font aussi les institutions (et comment t’en servir)

En 2025, les campagnes nationales de prévention montagne ont déployé des formats courts pensés pour les réseaux: check-lists météo/équipement, rappel d’itinéraires adaptés, “dis, à qui as-tu laissé ton plan?”. Profites-en: suis ces comptes, télécharge les fiches, transforme-les en routine. Les messages des secours en montagne sont clairs: lecture du terrain, choix de l’itinéraire et gestion d’allure sauvent plus de vies qu’un “gros quadricœur” dans le smartphone.

La règle d’or que j’applique en trail comme en rando

Si la photo exige un geste que je n’oserais pas sans appareil, je range l’appareil. La beauté de la montagne ne demande pas de bravoure inutile. Fais rayonner ta pratique: prépare-toi, raconte, inspire — et reviens avec des jambes qui répondent, un sourire large… et, oui, des images dingues prises intelligemment.

En montagne, la vraie performance, c’est de rentrer par ses propres moyens. Si on s’y met tous, les hélicos voleront moins, et nos souvenirs n’en seront que plus grands.

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