
Je randonne depuis des années, et j’ai longtemps cru que mon empreinte se limitait à ce que je ramenais dans mon sac. Mauvaise nouvelle: même si on ne laisse aucun papier derrière nous, nos chaussures et nos vêtements peuvent disséminer des microplastiques… à chaque foulée. La bonne nouvelle? On peut réduire fortement cette pollution invisible sans renoncer aux beaux itinéraires.
Ce que dit la science en 2025 (et pourquoi ça nous concerne)
- Le 13 octobre 2025, des chercheurs cités par The Guardian ont mesuré jusqu’à 23 fois plus de microplastiques dans un lac de montagne très fréquenté que dans un lac voisin, isolé. Les principaux suspects: les semelles souples et les textiles techniques.
- Autre point clé: même si les apports s’arrêtent, ces particules restent piégées dans les sédiments des lacs pendant longtemps. En clair, ça s’accumule.
- En montagne alpine, on détecte des microplastiques partout (neige, lacs, sols). Une partie vient de loin via l’atmosphère, mais la fréquentation des sentiers ajoute une charge locale, mesurable.
📌 À retenir
- Plus on foule un sentier avec des semelles tendres et des textiles qui peluchent, plus on alimente une pollution qui ne se voit pas, mais qui persiste.
D’où viennent ces microplastiques quand on marche?
À chaque frottement, abrasion et torsion, de minuscules fragments se détachent:
- Semelles extérieures en caoutchouc/TPU: l’usure des crampons sur roche abrasive.
- Intercalaires (EVA, PEBA, autres mousses): abrasion et effritement en terrain minéral.
- Tiges, pare-pierres, lacets, renforts: microfils et copeaux au contact des rochers.
- Vêtements techniques (polaires, maillots, collants, sacs): fibres synthétiques qui se détachent à l’usage et, surtout, au lavage.
- Accessoires: gants, bonnets, guêtres… idem.
💡 Conseil d’expert
Les composés « ultra-grip » et les mousses très tendres donnent une accroche fabuleuse mais s’abrasent plus vite. Pour de la rando classique (hors escalade/approach technique), viser un caoutchouc plus dense et durable fait une vraie différence.
Le lien avec la fragilité des sentiers
- Les sentiers encaissent déjà beaucoup: pluies extrêmes, chaleur, passages répétés, vélos… En Suisse par exemple, 65 000 km de chemins demandent un entretien constant, avec environ 800 CHF/km/an et l’appui de milliers de bénévoles.
- Conception moderne: drains, courbes de niveau, pas d’âne, enrochements… Rien de « naturel » au hasard: tout est pensé pour que l’eau s’évacue et que le terrain tienne.
- Quand on sort de la trace, qu’on coupe les lacets ou qu’on élargit une flaque en contournant la boue, on fragilise le corridor. Ajoutez l’abrasion de semelles très tendres: on cumule érosion + microplastiques.
✅ Bon réflexe de randonneur
- Rester dans l’axe du sentier, traverser la boue plutôt que contourner, respecter les fermetures après gros orages.
- Marcher « propre » (pas de glissades volontaires, pas de dérapages de fun) limite l’abrasion des semelles.
Mes 15 gestes concrets pour réduire la pollution invisible
1) Bien choisir son équipement
- Chaussures:
- Préférer une gomme plus dense et durable pour la rando « classique »; réserver les composés ultra-souples aux terrains vraiment techniques.
- Semelles rigides/modérées + pare-pierre efficace = moins d’arêtes qui cisaillent la semelle.
- Favoriser les modèles réparables/résolables. Lowa, entre autres, met l’accent sur la durabilité et la resemelage.
- Vêtements:
- Limiter les polaires très « fluffy » (elles perdent beaucoup de fibres). Préférer des softshells tissées serrées.
- Choisir des couches naturelles quand c’est pertinent: mérinos, laine/soie, coton bio pour les usages doux (attention au coton en conditions froides/humides).
- Matériaux recyclés: utiles pour réduire la demande en pétrole vierge, mais ça ne supprime pas les microfibres. Priorité à la durabilité.
- Sacs et accessoires:
- Tissus tissés denses, peu pelucheux.
- Éviter les surfaces abrasives inutiles (scratchs exposés qui râpent).
2) Sur le terrain
- Rester sur le chemin tracé, ne pas couper les lacets.
- Adapter l’allure: cadence fluide, pas « frotteurs » qui râpent la roche.
- Éviter de « scier » le sentier avec les bâtons: pointes correctement posées, pas de traînage. Utiliser des rondelles adaptées pour la stabilité; les capuchons caoutchouc peuvent limiter les impacts sur rocher mais s’usent aussi—à réserver aux zones où c’est pertinent.
- Nettoyer ses chaussures loin des rivières/lacs. Secouer/gratter, puis brosser à sec au parking. Pas de rinçage en torrent.
- Après la sortie: laisser sécher, brosser à sec; pas de jet haute pression qui arrache de la matière.
3) À la maison
- Espacer les lavages des textiles techniques; aérer et sécher, ça suffit souvent.
- Laver à froid, cycle doux, lessive liquide; éviter l’adoucissant.
- Utiliser un sac de lavage capteur de microfibres (type Guppyfriend) et/ou un filtre externe de machine (Filtrol, PlanetCare).
- Nettoyer le filtre et jeter les résidus aux déchets ménagers (jamais à l’évier).
- Réparer, recoudre, ressemeler avant de remplacer.
📢 Astuce « trail »
Sur terrains durs et secs, une chaussure « door-to-trail » à gomme plus ferme s’use nettement moins qu’une paire très agressive prévue pour l’ultra-technique. Je réserve mes composés tendres aux jours où j’en ai vraiment besoin (rocher poli, passages humides).
Ce que font l’industrie et les régulateurs
- Réglementation UE: le Règlement (UE) 2023/2055 restreint les microplastiques ajoutés intentionnellement dans les produits, avec l’objectif de réduire fortement les rejets d’ici 2030. Ça ne traite pas directement l’abrasion de nos équipements, mais ça va dans le bon sens.
- Marques outdoor:
- Vaude: recherche active pour réduire la libération de microfibres et suppression des PFAS sur l’imperméabilisation.
- Patagonia: longévité, réparabilité, objectifs climat validés (SBTi).
- Lowa: durabilité, réparations et ressemelage pour prolonger la vie des chaussures.
- Labels et démarches « Low impact »: utiles pour trier, mais gardons en tête que l’usage et l’entretien comptent autant que la matière.
ℹ️ Bon à savoir
Le « recyclé » est pertinent pour le climat et les déchets, mais un polyester recyclé peut toujours relarguer des microfibres. Le trio gagnant reste: produit durable + usage adapté + entretien intelligent.
Bien s’équiper selon la saison (sans sacrifier la perf)
- Été sec/chaud:
- Hauts: mérinos fin ou mélange laine/Tencel; softshell léger tissé serré s’il y a du vent.
- Bas: short ou pantalon tissé dense plutôt que legging polaire.
- Chaussures: gomme ferme, crampons modérés si terrain dur.
- Mi-saison:
- Couches respirantes en laine ou mélanges; polaires à poil ras si besoin.
- Softshells coupe-vent tissées serrées.
- Hiver/froid humide:
- Laine en base/intermédiaire; doublures tricotées serrées.
- Les membranes imper-respirantes restent synthétiques: compensez par une grande durabilité et un entretien maîtrisé (réimperméabilisation sans PFAS).
Randonner « propre » pour des sentiers qui tiennent
- Accepter la boue et les flaques.
- Respecter les fermetures de sentiers après gros épisodes pluvieux: ça laisse le temps aux ouvrages de drainage de fonctionner.
- Participer à une journée bénévole d’entretien: poser un pas d’âne ou un caniveau te fait voir le sentier autrement. On marche différemment quand on sait ce qu’il y a sous nos pieds.
📊 Mini check-list d’achat « low-shedding »
- Semelle: caoutchouc dense, abrasion testée, modèle ressemelable si possible.
- Tige: tissus tissés serrés, renforts bien intégrés.
- Vêtements: limiter les polaires très duveteuses; privilégier merino/softshell tissée.
- Entretien: possibilité de réparer et disponibilité des pièces (lacets, semelles internes, zips).
- Marque: engagements clairs sur microfibres/PFAS, réparabilité, SAV.
🤔 FAQ express
- Semelle plus dure = moins de grip? Pas forcément. Sur terrain sec et roche « saine », une gomme ferme accroche très bien. On réserve les gommes ultra tendres aux dalles lisses/humides.
- Le coton, c’est mieux pour la planète, j’en mets partout? En montagne froide et humide, non: privilégie laine/mélanges techniques. Le coton, ok pour la balade estivale peu engagée.
- Les sacs de lavage, ça sert vraiment? Oui: ils captent une part significative des microfibres, surtout celles des polaires.
En montagne, chaque pas compte. En choisissant mieux nos équipements, en marchant propre, et en entretenant nos sentiers, on protège nos terrains de jeu… sans perdre le plaisir du sommet. Et crois-moi: quand on sait ça, on ne marche plus jamais tout à fait de la même façon.
Poster un Commentaire