
Deux messages sont tombés sur mon fil ces derniers jours et m’ont glacé le sang — et pas par la météo. D’un côté, une alerte satellitaire près du refuge du Rulhe (Ariège) pour… un pied froid. De l’autre, une opération du PGHM menée à pied, de nuit et sous la neige, pour trois randonneurs trempés et en hypothermie aux Sarradets (Gavarnie). Deux réalités, un même système de secours. Et une question simple : à quel moment appeller le 112, et à quel moment gérer par soi-même ?
Je randonne, je cours en montagne et je mène des sorties club toute l’année. Je veux te donner un cadre clair, concret, pour que tu sois autonome, responsable et… que tu réserves les secours aux véritables urgences. Parce que oui, derrière un « petit SOS » se mobilisent des gens, des hélicos, des moyens… et parfois la vie de quelqu’un d’autre en dépend.
Ce qui s’est passé récemment (et ce que ça dit de nous)
- Ariège, secteur du refuge du Rulhe (~2 400 m) : une alerte envoyée par satellite signale une randonneuse « en détresse ». Après échanges via la plateforme (pas de contact direct possible), le PGHM établit qu’il ne s’agit pas d’hypothermie avérée mais d’un pied très froid. Pas d’intervention héliportée ce soir-là. Le lendemain, rappel pédagogique aux intéressés sur le bon usage des dispositifs d’alerte.
- Pyrénées, refuge des Sarradets (Gavarnie) : trois jeunes, trempés et frigorifiés, conditions hivernales, messages alarmants. Hélico impossible (neige, visibilité nulle). Le PGHM part à pied, de nuit, avec du matos chaud et des vêtements secs, passe la nuit sur place, évacuation au matin dès que la fenêtre météo s’ouvre.
Ces deux histoires illustrent une dérive bien réelle : banaliser le SOS parce que la techno le rend facile… tout en exposant les secouristes à des missions très engagées quand c’est vraiment grave.
📌 À retenir
- Un SOS satellitaire « simple » peut monopoliser des heures d’analyse et des équipes en alerte.
- À l’inverse, une vraie urgence en conditions hivernales peut nécessiter une colonne pédestre nocturne. Chaque minute compte.
Pourquoi ça dérape ? Tech, culture et méconnaissance
- Les montres et smartphones déclenchent de plus en plus d’alertes (chute détectée, bouton SOS) dans des zones sans réseau. Pratique quand c’est vital, trompeur quand c’est mal compris.
- Les plateformes d’alerte par satellite relaient des SMS et coordonnées GPS, mais souvent sans contact vocal direct. Résultat : beaucoup d’incertitudes côté secours.
- Effet « consommation de service » : la gratuité en France (hors domaines skiables) installe parfois l’idée que « qui peut le plus peut le moins ».
📊 Le contexte en chiffres (ordres de grandeur en France)
- 5 000 à 8 000 interventions de secours en montagne/an.
- Coût moyen par intervention des dispositifs d’État ~ 8 600 €.
- Hélico : environ 80 €/minute de vol, soit plusieurs milliers d’euros la rotation.
- 204 décès en sports de montagne en 2023.
- Appels abusifs et fausses alertes en hausse, notamment liés aux déclenchements involontaires.
- Faux appels volontaires: jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende possibles.
Source: bilans publics et presse spécialisée; montants variables selon contextes.
Quand faut-il appeler le 112 ? Mon cadre décisionnel simple et robuste
Quand tu doutes, structure ta décision avec la méthode STOP:
- S — Stop: abrite-toi, respire, bois une gorgée.
- T — Think: quel est le problème exact ? quels risques immédiats ?
- O — Observe: météo, luminosité restante, état du groupe, équipement, réseau.
- P — Plan: auto-évacuation sécurisée ou alerte au 112.
Appelle le 112 immédiatement si l’un de ces critères est présent:
- Traumatisme avec incapacité à marcher (suspicions de fracture, entorse sévère).
- Détresse vitale: altération de la conscience, confusion, malaise, détresse respiratoire.
- Hypothermie probable: frissons incontrôlables puis arrêt des frissons, paroles incohérentes, maladresse extrême, somnolence.
- Engelures sévères: peau dure, cireuse, insensible; doigts/orteils blancs/gris/bleutés qui ne réchauffent pas après 30 min de réchauffement correct.
- Isolement sans possibilité d’abri ni d’itinéraire sûr, nuit imminente et météo dangereuse.
- Perdu sans capacité de réorientation (brouillard, corniches, avalanche, barres rocheuses) et plus de marge météo/lumière.
Tu peux envisager l’auto-évacuation si:
- La personne marche de manière stable, sans douleur croissante.
- Le problème est contrôlable sur place (crampe, début d’ampoule, pied froid simple).
- Tu disposes d’un abri suffisant, de vêtements secs, d’un plan de repli clair et d’assez de lumière (frontales + batteries).
💡 Astuce d’expert
Avant d’appeler, un rapide test décisionnel: « Puis-je revenir au point sûr A avec le matériel B, en C minutes, sans exposer D (moi/groupe/tiers) à un risque supérieur ? » Si la réponse est non, on appelle.
Que dire au 112 (ou via SOS satellite) pour aider vraiment
Prépare un message clair, factuel, en 7 points:
- Localisation précise (coordonnées GPS, nom du lieu, altitude).
- Nature de l’incident (chute, hypothermie suspectée, perdu, etc.).
- Nombre de personnes impliquées et état de chacun.
- Capacité à bouger / abri disponible (refuge, grotte, tarp).
- Météo sur place (vent, neige, visibilité).
- Équipement dispo (couvertures, réchaud, doudounes, trousse de secours).
- Autonomie restante (batteries, eau, nourriture, frontales).
Important:
- Numéro d’urgence: 112 (ou 114 par SMS pour les personnes sourdes/malentendantes).
- Reste joignable, économise la batterie (mode avion + GPS), téléphone au chaud contre le corps.
- Si SOS satellite (iPhone, inReach, Zoleo, Spot): réponds vite, textes courts, info vitale d’abord.
Froid aux pieds: résoudre sans saturer les secours
Je te partage ma routine « anti-pieds gelés » en rando/Trail hivernal. Testée et adoptée.
- À l’abri du vent, assieds-toi sur un isolant (sac, mousse).
- Déchausse, sèche (linge microfibre), change chaussettes pour une paire en laine sèche.
- Place une fine couche « barrière de vapeur » si nécessaire: sac plastique fin par-dessus la chaussette fine, puis chaussette laine par-dessus. Idéal si les chaussures sont déjà humides.
- Chaufferettes chimiques sur le coup de pied (pas directement sur peau si perte de sensibilité).
- Dessers les lacets (vasodilatation), bouge les orteils, fais 2 minutes de pas chassés/squats.
- Ajoute une couche chaude sur le tronc (down/synthétique): réchauffer le core réchauffe les extrémités.
- Isole du sol les pieds à l’arrêt (couvre-sac, doudoune).
- Bois sucré chaud; mange (graisses + glucides).
- Replanifie: demi-tour ou itinéraire plus court, marge de lumière suffisante.
Kit minimal anti-froid (automne/hiver)
- Chaussettes de rechange en laine
- Mini-serviette microfibre
- 2 chaufferettes
- Doudoune synthé légère, bonnet, gants de secours
- Mousse assise ultralégère
- Suralmement: guêtres / surchaussures si neige mouillée
⚠️ Engelsures: si peau dure et insensible, pas de friction. Réchauffe doucement contre la peau tiède (aisselle/abdomen), protège du froid, surveille la douleur de réchauffement. Si pas d’amélioration → 112.
Bien préparer pour ne jamais en arriver là
- Météo et horaire: départ tôt, heure butoir de demi-tour, plan B/C. La nuit tombe vite en novembre.
- Équipement 3 couches: respirant (1), isolant (2), protecteur (3). Chaussures adaptées, guêtres si neige.
- Gestion énergie: mange toutes les 45–60 min, bois régulièrement. Le déficit calorique précipite l’hypothermie.
- Orientation « ceinture et bretelles »: carte + boussole + altimètre, GPS en backup. Savoir s’en servir.
- Communication: batterie pleine, power bank, câble, téléphone au chaud. Partage d’itinéraire et d’heure de retour.
- Culture du renoncement: savoir faire demi-tour n’est pas une faiblesse, c’est de la longévité sportive.
Montres, téléphones et balises: bien paramétrer pour éviter les faux SOS
- Détection de chute: sur Apple Watch/Garmin, adapte la sensibilité ou désactive-la pendant les entraînements chahutés (trail technique, sprints en descente), réactive ensuite.
- Messages préremplis (inReach/ZOLEO): crée un « Je vais bien » à envoyer à tes proches pour éviter les angoisses inutiles.
- Contacts ICE: renseigne des contacts d’urgence, groupe sanguin/allergies.
- Teste la procédure: fais un exercice « à blanc » (sans envoi) pour connaître les menus et les limites.
- Comprends la latence satellite: réponses parfois lentes; plus l’info initiale est claire, plus la décision sera rapide.
Responsabilité collective: gratuit ne veut pas dire illimité
En France, le secours en montagne est généralement gratuit (hors domaines skiables où une part peut être facturée). Ailleurs, il est payant. Quel que soit le pays, chaque fausse alerte:
- bloque des moyens pour une vraie urgence,
- expose les secouristes, parfois de nuit et par météo dangereuse,
- coûte cher à la collectivité.
Des sanctions existent en cas de fausse alerte volontaire. Mais le plus important, c’est l’éthique du montagnard: compétence, préparation, autonomie, entraide — et appel au secours réservé aux situations justifiées.
📌 Mémo express à garder en tête
- 112 si traumatisme, détresse, hypothermie/engelures sévères, perdu sans solution sûre.
- Message en 7 points (lieu, incident, état, abri, météo, équipement, autonomie).
- Stop au « petit SOS » pour des pieds froids: traite, réchauffe, replanifie, renonce si besoin.
Au final, je veux qu’on continue tous à profiter de la montagne longtemps, fort et en sécurité. On y arrive en étant exigeants avec nous-mêmes, bienveillants avec les autres… et en gardant le 112 pour les vrais moments où il sauve des vies.

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