Au-delà de la soif : l’erreur d’hydratation qui tue en rando (et comment l’éviter)

Au-delà de la soif : l’erreur d’hydratation qui tue en rando (et comment l’éviter)
Crédit photo: Olga Lioncat

Il fait chaud, tu transpires, tu bois. Simple ? Pas vraiment. En montagne, l’hydratation est un piège à double tranchant : eau contaminée d’un côté, coup de chaleur de l’autre. Et chaque été, on compte les malaises, les évacuations et, trop souvent, les drames évitables.

Je randonne et je cours en montagne depuis des années. Ce que j’ai appris (parfois en observant des situations qui tournent mal), c’est qu’il ne suffit pas de “boire beaucoup”. Il faut boire juste, boire la bonne eau, et gérer son effort. Voici mon guide concret, franc et actionnable pour randonner en sécurité, même par canicule.


Alerte 2025 : pourquoi “boire plus” ne suffit pas

  • En août 2025, la préfecture des Hautes-Pyrénées a rappelé de ne pas boire l’eau des torrents et ruisseaux, même avec une gourde filtrante. Dans le même temps, elle a recensé depuis le 8 août 50 appels au Samu et 15 interventions de secours “à cause de l’eau”.
  • Les coups de chaleur restent la cause silencieuse de trop d’accidents sur les sentiers. Et un malaise près d’un lac peut virer à la noyade si des crampes te fauchent dans l’eau quelques minutes après t’être “rafraîchi”.

📌 À retenir
Ne te fais pas piéger par l’apparente pureté d’un ruisseau ni par ta sensation de soif. La prévention commence dans le sac et dans la gestion de l’allure.


Quelle eau boire (et comment la rendre potable)

Je le dis sans détour : je ne bois JAMAIS une eau de montagne non traitée. Limpide ne veut pas dire potable. Entre les troupeaux, les randonneurs en amont, les sols, ou des cyanobactéries en plan d’eau, les microbes et toxines circulent.

Les règles d’or sur le terrain

  • Privilégie une eau qui coule vite, claire, prise en amont (loin des pâturages, cabanes, sentiers fréquentés).
  • Évite l’eau stagnante (lacs, vasques, étangs), surtout par fortes chaleurs (risque de cyanobactéries).
  • Pré-limite la turbidité: prélève sans remuer le fond, décante si besoin.

Les 4 méthodes de traitement (et quand les combiner)

  • Ébullition: la plus fiable. Porte à frémissement franc 1 minute (3 minutes au-dessus de 2 000 m). Inconvénient: temps/énergie, goût.
  • Filtration mécanique (0,1–0,2 µm): efficace contre bactéries et protozoaires (Giardia, Cryptosporidium). Insuffisant contre la plupart des virus et toxines. Débit rapide, léger.
  • Désinfection chimique (dioxyde de chlore/“pastilles”): couvre bactéries, virus, protozoaires (contact plus long pour Cryptosporidium). Respecte le temps indiqué (souvent 30 à 120 minutes, plus si eau froide/turbide).
  • UV (lampes/stylos): très efficace sur micro-organismes, mais eau claire indispensable et source d’énergie (batterie).

Conseil d’expert
En zones fréquentées ou douteuses, je filtre d’abord (pour particules/parasites), puis je complète par pastille ou UV pour la barrière virus. Le combo “filtration + chimique/UV” est mon standard estival.

💡 Bon à savoir
Les cyanotoxines (fleurs d’eau bleu-vert) ne sont pas neutralisées par les filtres courants ni les pastilles classiques. Si l’eau a une couleur/odeur suspecte ou un film verdâtre, abstiens-toi.


Combien boire… et quoi ajouter

Ta cible dépend de la chaleur, du dénivelé, de l’allure et de ton gabarit. Voilà ma règle pratique pour randonneur(euse) en été:

  • Débit de base: 0,4 à 0,6 L/heure.
  • Canicule/fort effort: 0,6 à 0,8 L/heure. Évite de dépasser 1 L/h (risque d’hyponatrémie si tu ne salines pas).
  • Apport en sodium: 300 à 600 mg/heure (boisson d’effort/electrolytes salés). Les gros “transpireurs salés” visent le haut de la fourchette.
  • Fréquence: 3–4 gorgées toutes les 10–15 min, pas des litres d’un coup.

Signes d’alerte

  • Déshydratation: bouche sèche, urines foncées/rares, fatigue, maux de tête, vertiges.
  • Hyponatrémie (trop d’eau pas assez de sel): nausées, maux de tête, gonflement des doigts, confusion. Stoppe l’eau claire, prends du salé (électrolytes), fais une pause à l’ombre. Si désorientation/vomissements persistants: 112.

Astuce simple
Couleur des urines paille claire = OK. Thé foncé = bois (et sale) davantage. Transparent en permanence + doigts bouffis = tu dilues trop.


Gérer l’effort pour éviter le coup de chaleur

La chaleur tue par accumulation. L’hydratation ne compense pas une allure trop élevée ni un mauvais horaire.

  • Règle “3/30/3” que j’utilise l’été:
    • Pars avant 8 h ou après 17 h.
    • Pause de 30 minutes à l’ombre au pic de chaleur.
    • Bois 3 gorgées toutes les 20 minutes.
  • Choisis l’ombre: forêts, vallons, berges. Évite les crêtes en plein cagnard.
  • Ralenti franchement en montée et sur caillasse (la surchauffe part de l’effort, pas du soleil).
  • Vêtements: manches longues légères, claires, respirantes (UPF 50+), chapeau large bord + protège-nuque. Oublie le coton.
  • Rafraîchissement: mouille casquette/nuque/avant-bras. Brumisateur + courant d’air = clim naturelle.
  • Acclimatation: 7–10 jours pour s’habituer à la chaleur; double prudence si tu sors peu.

⚠️ Et la baignade ?
Si tu as des crampes ou que tu es “dans le dur”, ne te jette pas à l’eau. Le combo fatigue + crampe dans un lac a déjà coûté des vies. Rafraîchis-toi par aspersion, trempe les mollets, mais évite la nage si tu es limité.


Mon plan type pour une boucle de 6–7 h en été

  • Avant de partir (la veille et le matin)
    • Hydrate-toi bien, urine claire.
    • Petit-dej salé (ex: omelette + pain + fromage) ou boisson électrolyte légère.
    • Itinéraire repéré avec points d’eau/refuges et plan B court.
  • Dans le sac
    • 2,5 à 3,5 L de capacité: poche à eau 2 L + 2 flasques de 500 ml.
    • Filtre 0,1 µm + pastilles dioxyde de chlore; gobelet pliant; sachet zip pour pastilles.
    • Électrolytes en sticks (compter 1/h).
    • Casquette/chapeau, lunettes, crème, brumisateur, coupe-vent léger.
  • Stratégie d’hydratation
    • 0,5–0,7 L/h en montée, 0,4–0,5 L/h sur plat/descente.
    • 1 stick électrolyte/h pendant les 4–5 premières heures, puis selon sel perdu (traces blanches sur tee-shirt = tu sales beaucoup).
    • Rechargement à mi-parcours: prélève eau vive en amont, filtre + pastille, patiente le temps requis.

Exemple horaire

  • 6h45 départ frais et lent; 7h30 première pause courte + 200 ml.
  • 10h00 pause 10 min à l’ombre, snack salé + 300 ml électrolyte.
  • 12h30 pause 30 min ombre + rafraîchissement, remplissage et traitement des gourdes.
  • 15h00 fin de rando, 500 ml de boisson de récup (eau + électrolytes) dans l’heure.

Trouver et gérer les points d’eau comme un(e) pro

  • Avant: carto IGN/app outdoor avec sources, refuges, fontaines; appelle un refuge si doute.
  • Sur place: observe amont (troupeaux, cabanes), couleur/odeur; privilégie rapide et rocheux.
  • Prélèvement: sans remuer, à contre-courant; préfiltre avec un buff si l’eau est chargée.
  • Respect: pas de vaisselle/lessive/toilette directement dans le cours d’eau; ne te baigne pas dans les petites zones de prélèvement.

ℹ️ En période de canicule, pars avec 3 L/jour/adulte en cible minimale si tu ne peux pas recharger en sécurité.


Checklist départ (1 minute)

  • Eau: 2,5–3,5 L de capacité + électrolytes suffisants.
  • Traitement: filtre opérationnel + pastilles/UV + temps de contact connu.
  • Itinéraire: points d’eau validés + plan B.
  • Chaleur: couvre-chef, manches longues légères, crème, brumisateur.
  • Sécurité: téléphone chargé, sifflet, couverture de survie, frontale si départ tôt/tard.

Reconnaître et agir face aux symptômes

  • Coup de chaleur (urgence vitale): température élevée, peau chaude/rouge, confusion, démarche instable, parfois arrêt de transpiration.
    • Action: mets à l’ombre, refroidis agressivement (eau sur peau + ventilation, poches froides nuque/aisselles/aine), surélève légèrement les jambes, alerte 112. Ne force pas la boisson chez personne confuse.
  • Déshydratation modérée: soif, urines foncées, crampes.
    • Action: ombre 15–20 min, boire par petites gorgées avec électrolytes, rouvrir l’allure ensuite seulement si OK.
  • Troubles digestifs après eau douteuse: nausées/diarrhées/crampes.
    • Action: stop eau suspecte, réhydrate petit à petit (solution électrolyte), surveille. Si fièvre élevée, sang dans les selles, vomissements incoercibles, signes de déshydratation sévère: consulte/112.

Je le répète parce que ça sauve des journées (et parfois des vies) : anticipe l’eau, traite-la systématiquement, sale ton hydratation et adapte ton effort à la chaleur. Tu profiteras mille fois plus du sentier… et tu rentreras fier, lucide et en pleine forme.

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